La disparition de France CLIDAT

LA MORT EST-ELLE UNE VERTU  ?

Ayant lu avec infiniment d'intérêt l'article (justifié) du trompettiste Thierry Caens , paru dans le dernier numéro de La Lettre du Musicien , sur le départ silencieux de Maurice André, d'une étrange absence sur nos ondes les plus diverses, j'aurais humblement aimé apporter mon propre témoignage sur France Clidat la Grande , puisque c'est ainsi que la nomme, quelques semaines après son départ, un de nos grands hebdomadaires qui, jamais, du vivant de l'artiste, ne l'ont honorée, ni même citée !... Je la connaissais bien, l'admirais, et pour tout dire, la chérissais, et me suis même récemment laissé dire que, avec Gérard Devos, ancien chef des Concerts Pasdeloup, j'aurais été celui qui, ces vingt dernières années, l'aurait le plus souvent invitée, accompagnée, et, si je puis dire, dirigée.

Elle eut le bonheur, avant de nous quitter en cette malheureuse Ascension 2012, de voir reparaître en compact-disques son intégrale-Liszt , mythique (cette fois, le mot est juste !...) des années 1970, et de se voir honorée d'un de ces luxueux albums édités par le journal Le Monde , chaque album illustrant l'un des quarante meilleurs pianistes du siècle. Elle n'était ni la trente-deuxième ni la trente-troisième , mais bel et bien la première , très probablement : en tous cas, l'une des plus grandes et des plus personnelles artistes de cette seconde partie du XXè siècle, qui jouait absolument du piano comme personne. Un de ses prestigieux confrères français - et pas n'importe lequel - vient de l'écrire : Horowitz femme, une conteuse …. Un autre pianiste hexagonal n'avait-il pas déclaré, un beau jour, à La Roque d' Anthéron  : je l'ai entendue, récemment, pour la première fois, à Flaines , et ce fut une leçon pour nous tous  ?...

Sa technique hors-pair , sa vélocité, mais aussi une sonorité hors du commun (sa fameuse gourmandise de l'oreille …), une façon bien à elle de faire scintiller les aigus et tempêter les graves, un staccato crépitant, une main gauche diablement efficace et à la présence intense, et surtout un sens unique de la diction et de la narration, du grand legato et du large discours, de la note qui vit, chante, s'étire et respire, une rare intelligence de toute partition, une culture peu ordinaire (musicale, littéraire, artistique, historique) en font une pianiste de légende, dans la lignée des grands interprètes romantiques du siècle passé, au service de Liszt bien sûr, mais aussi de Chopin, de Mozart, de Beethoven, de Brahms, Schumann, Tchaikowsky , Scriabine, Rachmaninov, Chabrier, Saint-Saëns, Debussy, Ravel, Falla, Albeniz , Granados ou de Landowski !

 

 

 

Dès la nouvelle de sa disparition, les hommages les plus divers, impromptus, se sont succédés sur les ondes de nos radios musicales, les diffusions de disques succédant aux rediffusions d'interviews anciennes… D'un coup d'un seul, elle devient Clidat la Grande … Mais que n' a- t'on évoqué davantage cette artiste flamboyante et unique de son vivant ? Hormis naguère un Clarendon , un Goléa ou un Clym , hormis le fidèle Jean Gallois ou le visionnaire et admiratif Alain Lompech , qui, dans Le Monde , toujours la soutint, regrettant son absence des grandes scènes françaises (alors qu'elle était une véritable star au Japon et dans de nombreux pays européens et latino-américains), où étaient tous ces critiques, bénis-oui-oui de la pensée unique (car cela existe aussi en art), muets (et absents) à son égard, mais qui réservaient en permanence, et avec la régularité du nécessaire, des colonnes entières - et continuent - à mille jeunes (et moins jeunes) pianistes de réseaux qui nous font bailler d'ennui ?

Et que dire de cet autre réseau infâme et omnipotent, celui de nos administrateurs (voire parfois... directeurs artistiques !...) d'orchestres nationaux et régionaux, incultes, sans visions ni ambitions, qui jamais ne la reçurent ? Honte à l'Orchestre de Paris qui, depuis sa création, ne l'invita jamais, honte aux orchestres de la Radio-Télévision française (pas un concerto depuis celui de Scriabine… en 1976 !....), honte à un "certain orchestre de région" qui jamais ne la réinvita après son succès phénoménal - et inégalé - aux Greniers Saint-Jean d'Angers, en 1986 (avec les quatre Liszt pour piano et orchestre). Et honte à tant d'autres !... Mais, il est vrai, les phalanges de Lille, Strasbourg, Genève, Saint-Etienne , Limoges, Caen, Avignon, Cannes, les orchestres de Picardie et d'Ile-de-France la reçurent à plusieurs reprises…

En même temps, un immense merci renouvelé à Lamoureux, à Pasdeloup surtout (et, sans doute, on me le pardonnera, au Sinfonietta de Paris - quatre concertos différents, avec Mme Clidat , et pas un seul de Liszt, rien que pendant le premier semestre de 1996 ) , à toutes ces formations plus modestes, et ô combien plus visionnaires et ambitieuses ! Que dire enfin des petits messieurs de nos pseudo-tribunes critiques nationales, qui, sur les ondes de France-Musique , osèrent consacrer, il y a quelques mois encore, deux de leurs émissions à la Sonate de Liszt et à ses Années de Pèlerinage sans même mentionner l'enregistrement réalisé par celle (Française, en plus !...) qui, la première (attendant sans crainte, pendant des années, l'approche du moindre challenger  !...), osa graver l'intégrale pianistique de ce diable d' homme-abbé  ? Vous nous l'aviez bien dit, souvent et il y a bien longtemps, Chère France, dans un de ces grands éclats de rire dont vous aviez le secret : quand je serai morte, j'aurai enfin toutes les vertus !

Dominique Fanal

Chef principal du Sinfonietta de Paris et des Concerts du Mans

 

 

Directeur de la publication : A.D.O.R.A.M.U.S - Septembre 2012 -