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CHOPIN, l'homme, sa vie, son oeuvre

Sylvie OUSSENKO

Préface : Dominique FANAL

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.../...À côté de Liszt, Chopin fait office de reclus, de pauvre malheureux, de malade chronique, de malchanceux, d'apatride errant. Et pourtant, on le sait, c'est à sa musique, probablement plus qu'à celle de Liszt, que le public - mélomane ou non, connaisseur ou béotien - tient avant tout, et ce sont ses Valses qu'on écoute (plus que celles de Liszt ou de Brahms), c'est sa Sonate funèbre que l'on a en tête (bien plus que la « Sona te des sonates » conçue par Franz Liszt), ce sont plus encore ses Nocturnes que ceux de Liszt que l'on fait travailler aux élèves et que l'on imagine dans les salons, et ses Polonaises et ses Mazurkas remplissent encore plus les salles de concerts que les Rhapsodies de Liszt. Si ses dernières surprennent et effarent, la danse revisitée par Chopin, quelle qu'elle soit, melliflue, gracile, solidement attachée au sol polonais, émeut toujours, et vous embue le regard : on se doit de s'essuyer les yeux avant d'applaudir.

En même temps, on a dit les pires niaiseries sur certains aspects de la musique de Chopin, comme on en dit plus tard, par exemple, sur celle de Fauré. On a beaucoup parlé de cette note bleue (aussi mystérieuse, incompréhensible et virtuelle probablement que le rayon vert ou le mons­tre du loch Ness...), on a beaucoup fait de ses Valses (comme de certains de ses Nocturnes, comme de certaines Barcarolles de Fauré justement) de la musique salonarde pour jeunes filles en fleur attardées. Et puis, il y a la légende, tenace, très inspirée, il est vrai, des heures les plus noires de la vie de Chopin : si Liszt a en lui du Hongrois, de l'Autrichien et probable­ment du Tzigane (géopolitique oblige), Chopin est le seul à avoir eu, de son vivant comme dans la mort, son corps et son cerveau en France, et son cœur profondément ancré à la grande dépression de Mazovie et au terroir de Podlasie. Il n'y a qu'à voir, toute l'année, à Paris, les cars déverser leurs flux de touristes polonais aux portes du cimetière du Père-Lachaise, et, à Varsovie, les promeneurs français chercher la mystérieuse colonne de l'église Sainte-Croix contenant le cœur de Chopin, pour comprendre à quel point cette double hérédité et ce double héritage ont touché les esprits et les coeurs.

Si Liszt eut une existence brillante - avec un petit côté dandy parfois - celle de Chopin correspond à l'idée que l'on se fait, dans les cours de littérature classique, du grand romantique amoureux et souffreteux. Tout le monde a en mémoire les errances de Chopinet, déjà tuberculeux et bien mal en point, dans les jardins de Nohant (la dame au cigare ne l'appelait-elle pas « mon cher cadavre»?), l'enfer qu'il vécut, à Major­que, entre les murs ruisselant d'humid ité de la chartreuse de Vallde mosa, ses derniers jours dans l'appartement de la place Vendôme, et sa messe d'enterrement à la Madeleine, où l'on joua, à sa demande, à l'orgue, deux de ses Préludes, une orchestration de la Marche funèbre de la Deuxième Sonate, et, tout simplement, la Messe de Requiem d'un autre génie, qu'il chérissait entre tous et admirait tant, et qui lui-même (comme Tchaïkovski, à l'aube de son suicide, composa sa Symphonie pathétique) avait imaginé le requiem de sa propre mort : Wolfgang Amadeus Mozart. Il y a vraiment de quoi dire et redire sur la vie et l'œuvre du Franco-Polonais... En même temps, sur le plan musical aussi, on croit souvent tout connaî­tre, et l'on ne sait pas toujours grand-chose. Pourrons-nous évoquer notre propre expérience? J'avais derrière moi déjà quelques années d'études de piano quand je commençais à déchiffrer et modestement travailler quelques Nocturnes (les plus simples techniquement) et deux ou trois Valses (la Valse de l'Adieu d'abord, celle qui tombe le plus facile­ment sous les doigts... ), et je ne pouvais entreprendre mon travail scolaire - celui du lycéen que j'étais - sans une certaine musique de fond. Je me souviens qu'il m'était difficile, dès mes classes de seconde et de première, de concevoir la rédaction d'une dissertation ou d'un commentaire sans activer, tout près de moi, sur un vieil électrophone monophonique (en ce temps-là), deux ou trois enregistrements que je chérissais, ou qui, du moins, me touchaient. Seul le piano pouvait accompagner mes travaux scolaires. Les timbres de l'orchestre m'auraient trop interpellé, distrait, l'ampleur du son symphonique eût détourné mon attention. Alors que le son du piano m'habitait, me portait, sans me détourner de ma création littéraire de l'époque. Je m'en servais comme d'un dopant.

 

C'étaient mes petites amphétamines personnelles, mes produits interdits à moi ! Plus que d'autres, deux avaient ma faveur : trois Sonates de Beethoven (toujours les mêmes : la Pathétique, l'Appassionata et la Clair de lune, bien entendu) par Hans Richter-Haaser (ce qui n'est pas si mal), et les Quatorze Valses de Chopin, jouées par Jean Doyen - il s'agissait là d'un vieux disque Fontana dont la couverture offrait, mauve sur fond mauve, un bouquet de violettes plus vrai que nature. Je préférais ce disque à un autre que j'avais aussi, les Polonaises par Witold Malcuzynski, qui, elles, par leurs martèlements parfois militaires, me détournaient trop de mon travail. Mais je me souviens encore aujourd'hui que la pochette de ce disque filait, en un style très lyrique, cette étrange métaphore : la musique de Chopin, ce sont « des canons sous des fleurs ». Plus tard, bien plus tard, toujours adolescent, je découvris un coffret édité par Vega, qui regroupait diver­ses pages de Chopin (de certaines Valses à quelques Études, de quelques Nocturnes à la Fantaisie-Impromptu, de la Deuxième Sonate à la Quatrième Ballade ou à la rare Tarentelle...) jouées par des pianistes aussi différents que Milosz Magin, Alain Berheim, Claude Kahn ou le regretté Thierry de Brunhoff, qui, lui aussi, un jour, comme Franz Liszt - mais bien plus jeune - choisit de quitter l'estrade pour les ordres! Je commençais alors, bien tard, à m'apercevoir que Chopin n'était pas que le compositeur de quatorze Valses parfois ressassées (où, il est vrai, éclate le génie de la danse - du moins de la danse revisitée et domesti­quée par Chopin), mais le géniteur (si l'on peut dire) de tout un monde musical nouveau : des harmonies sourdes, chargées d'angoisse jusqu'à la nausée, d'accords vénéneux ou sulfureux aux agrégats étranges et inquiétants, jamais entendus auparavant, et de paysages musicaux un peu mornes, immobiles, livides et glacés, comme Liszt en conçut aussi à la toute fin de sa vie, qui annonce les étendues harmoniques glacées d'un Prokofiev ou d'un Chostakovitch, ou les brouillards givrants chers à Ravel, et plus encore à notre Debussy. Il n'y a qu'à écouter, ne serait- ce que trente secondes, les premières mesures du deuxième des vingt- quatre Préludes (opus 28) que Chopin dédia à son ami Camille Pleyel, pour s'en convaincre. Un poète qui proposa quelques titres bizarres et grandiloquents à certains de ces Préludes écrivit en en-tête de celui-ci : « Méditation douloureuse... La mer, déserte, au loin... » Le Debussy des Pas sur la neige ou de La Cathédrale engloutie est tout près, alors que tant d'années séparent le Franco-Polonais de notre Claude de France. Et le chaos symphonique qui ouvre un certain Concerto pour la Main gauche semble aussi tout près, soudain...

Plus tard, j'entendis les deux Concerto s de Chopin dans l'interprétation de Samson François (ceux avec Louis Frémeaux, non ceux de Klecki) - e bien plus tard encore, on m'offrit les Quatre Ballades : la partition (qu me fit beaucoup souffrir), et l'enregistrement de Zimerman (véritable bible pour qui veut tout comprendre de Chopin). Et je fus convaincu que Chopin était le prince du piano. Et que son piano, comme celui d'un Liszt (avec des variantes) ou d'un Rachmaninov (pour d'autres raisons), était du grand, du très grand, de l'immense piano.

Lorsque, mû par ce désir impérieux de devenir chef d'orchestre, je repris des études sérieuses au Conservatoire, j'entendis quelquefois proférer- y compris par de grands professeurs - des lieux communs : il était de bon ton, par exemple, de prétendre que Chopin ne savait pas écrire pour l'orchestre, que ses Concertos étaient de vastes ballades pour piano de près de trois-quarts d'heure auxquelles l'orchestre n'était pas indispen­sable (au fait, à quoi ressemblent aujourd'hui ces Concertos de Chopin que l'on joue et enregistre avec quatuor à cordes ?). De la même façon, on entendait dire que Tchaïkovski était vulgaire, que Sibelius, pour reprendre les termes de Stravinski, était « le plus ennuyeux des compo­siteurs sérieux», et que Moussorgski écrivait des harmonies laides et creuses, et ne savait pas davantage orchestrer que Schumann... Or, on s'est aperçu depuis que, si Ravel avait magnifiquement habillé - d'un si chatoyant manteau d'arlequin - les Tableaux d'une Exposition (le cycle pianistique de Moussorgski), l'œuvre était avant tout devenue une splendide image ravélienne, loin de l'austère et massive eau-forte origi­nale. De même, que les géniales harmonies (incomplètes et minérales, en effet) de Boris Godounov, et son orchestration (parfois - volontaire­ment - taillée à coups de serpe) n'avaient nullement besoin des révi­sions clinquantes de Rimski-Korsakov ou de Chostakovitch pour exister.

 

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Chopin, l'homme, sa vie, son oeuvre

La mezzo-soprano Sylvie Oussenko et le chef d'orchestre manceau Dominique Fanal nous offrent un beau cadeau de fin d'année pour 10 € seulement !

Une vulgarisation intelligente de Chopin qui passionnera à la fois les inconditionnels du pianiste compo­siteur et ceux.qui ne le connaissent qu'à travers ses valses ou sa liaison avec George Sand.

En musicien averti, Dominique Fanal, tord le cou aux idées reçues, aux images d'Épinal, « aux niaiseries dites sur Chopin, comme sur Schubert ou Beethoven ! »

Et il s'appuie sur son expérience de pianiste-ôhef d'orchestre pour nous introduire dans la richesse de sa musique.

Sylvie Oussenko retrace le par­cours intime et musical de Chopin en le restituant dans son contexte. La plume est claire et précise. Elle progresse chronologiquement en intercalant judicieusement cita­tions, références historiques et mu­sicales, glossaire .jusqu'au cahier de correspondance entre Chopin et George Sand.

Un CD d'une heure de musique accompagne le livre.

Pratique. Chopin, Sylvie Oussen­ko et Dominique Fanal, éditions Eyrolles -10 €.

J.R. (Ouest-France)


Directeur de la publication : A.D.O.R.A.M.U.S - Septembre 2012 -